Revue Cabaret

Hors-série avril 2022 – Spécial 10ème anniversaire de la revue

L’homme lucide

L’homme marche sur une route d’été, long ruban sinuant entre les blés mûrs. Seuls obstacles au déroulé du paysage plat, les poteaux en bois du téléphone et les pylônes électriques. Un arbre, peut être au loin ? Forme sombre, évaporée en son sommet… Il marche sur la route et sous la canicule. Il a noué sa chemise autour de la taille et son tee-shirt blanc ajoute un éclat de lumière dans le jour plein. Tête nue, pieds nus, il avance d’un pas régulier et rapide. Aucun passant, aucun trafic sur la route noire. On est à dix kilomètres de la première ville. L’homme marche pour combattre sa soif, son but n’est pas la ville ni un quelconque prétexte matériel. L’homme qui marche seul sur la route écrasée de soleil teste sa force et son appétit de vivre. Et cet homme est sage, il pourrait courir dans la chaleur de l’été.

Hors-série décembre 2020

à la lune

je n’ai pas
dévoré la vie
admiré les soirées dorées et les heures matinales et étales
sauté à pieds joints dans le croissant de lune là devant ma porte
plongé dans des rêves bouillonnants et palpitants
aimé comme il fallait
trop – encore trop – toujours trop
je n’ai pas inventé
j’ai détesté l’excès
j’ai pleuré devant un crépuscule rose
espérant me souvenir de la nuit
non je n’ai pas avalé les baisers dans telle gorge amie
oui j’ai peur de mon absence devant un croissant de lune

Septembre 2020

La ville nord

A travers les îlots de neige
des lacs impulsifs
Sous les ciels bleus et blancs
venues des terres proches
des pierres rouges
teintées de gouttes blanches
Rochers posés dans des parcs
si rarement en fleurs
Cimetières polychromes
aux voix austères
Le pâle ciel ne vibre
que d’îles de recueillement
à peine troublées
par la dislocation des glaces
Ici j’ignore mes jours
je commence une nuit boréale
A chaque échappée
à chaque élan du sud au nord
Ébauches déçues
réchauffement avorté
près de ceux qui veillent simplement
dans cette vie
ailleurs
cet autrement

Hors-série Juillet 2020

Voyage

Emportée par le bruit
– ce fracas douloureux de marée –
cherchant un retour
Endormie car le parfum d’iode saoule
n’est ce pas
Emportée pour arriver au bout des embouchures
et me noyer au port
alors même qu’une amarre enroulée de brume
me retient et me fouille
que le ressac
rappelle ce chant
vieux de longs trajets
d’une rive vers une autre
bercée ici par les vagues enveloppantes
là bas amies
je cherche une fois de plus
à retrouver le goût de sel de mes craquelures