La première séance
Imaginons une naissance.
Imaginons que le vrai spectacle soit cette naissance.
Il faudra tant d’images pour la matérialiser, des couleurs et des gris faufilés de lumière.
Imaginons que le bleu soit plus vraisemblable.
Il aura un air de ciel pur ou simplement voilé de nimbes légères.
Il faudra aussi des sons, des voix, qu’une voix nous parle un langage.
Et s’il est inconnu, alors la naissance s’est produite ailleurs, dans un autre lieu, un autre milieu.
L’écran s’éclaire, le blanc aveugle, le son est puissant : une histoire va être racontée à nos yeux, à nos oreilles.
Assis dans les fauteuils rouges, nous sommes impatients de nous identifier, de nous créer, d’émerger.
Le scénario est accompli, il nous est offert.
On est venu pour chercher, comprendre, percer l’énigme, sentir se mouvoir de l’intérieur les fureurs, les angoisses, les attentes, les silences, les questions… parfois des réponses. Les accueillir de plein fouet, face sans masque.
Et que la musique soit bonne, rythmes, envolées, mouvements, colorés par un compositeur habile, choisis par un réalisateur sensible.
Ou alors, qu’il n’y ait pas de musique, le récit en aura plus de force, de poids, de sens peut être.
Le spectacle nous parle, nous le savons dès les premières minutes, quand, immédiatement, les personnages jouent réels, que rien autour ne les dépasse, qu’eux ne dérangent rien autour, qu’ils font partie de ce tout, qu’ils nous harmonisent, nous dédicacent notre fiche d’identité.
Les erreurs ne sont pas admises, nous sommes critiques, c’est notre devoir.
La partie créée de toute pièce peut être fausse et nous le savons.
Si le spectacle est artificiel, nous en souffrons, nous quittons la salle. Un sursaut de politesse nous empêche de crier notre désaccord.
Nous nous levons en masquant l’écran le temps de nous faufiler dans la rangée, de pousser la porte battante.
Nous cillons dans la lumière aveuglante.
Dehors, rien n’a changé et tout est différent.