« J’en rêve » ou « J’ai mal dormi »
Je ne dors plus la nuit depuis que j’écris des histoires courtes. Ou plutôt, j’écris des histoires courtes depuis que je ne dors plus la nuit. Enfin, je ne sais plus très bien…
Mais pourquoi la nuit ? Eh bien c’est comme ça. Tenez, Sand par exemple, elle passait ses nuits devant son encrier, ses cigares à portée de main, et elle enchaînait comme ça les romans, les uns après les autres, sans compter la correspondance, des dizaines de milliers de lettres immortelles. Balzac, le grand Balzac, avec deux ou trois litres de café fort dans un pot posé à côté de lui, il tenait jusqu’au matin assis à sa table de travail. Même Proust dictait à Céleste assise à son chevet, pendant des nuits entières, les chapitres de la Recherche. Ah oui, j’allais oublier les poètes ! Eux, ils disaient à leur domestique « Joseph, réveillez-moi cette nuit à trois heures ». Et à trois heures tapantes, ils prenaient le crayon qu’on leur tendait et paf ! ils noircissaient du papier avec tout ce qui débordait tout d’un coup de leur cervelle bien faite.
Imaginez que tous ces génies aient eu des sommeils de marmotte, que comme des gens ordinaires, ils aient eu l’habitude de se coucher comme les poules et de faire le tour du cadran, de combien de chefs d’œuvre serions-nous privés aujourd’hui ? Hein, vous imaginez un peu ? Moi, rien que d’y penser, ça me fait froid dans le dos…
– Anne, qu’est-ce que tu racontes, t’as froid ? Mais t’as vu l’heure ?
Je me réveille brusquement en entendant la voix de Philippe. Dans mon sursaut, je lâche mon crayon et ma lampe de poche se casse en tombant du lit.
-Tu fais chier quand même ! Tu peux pas dormir comme tout le monde ?